IV
Le lendemain matin, quand il mit les pieds dehors, Knight trouva le shérif adossé contre la barrière, le chapeau sur les yeux, en train de tuer le temps.
« Bonjour, Gordie, lui dit le shérif. Je vous attendais.
— Bonjour, shérif.
— Je suis navré, Gordie, mais le devoir avant tout. Je dois vous remettre ce papier.
— Je m’y attendais », répondit Knight d’un ton résigné.
Il prit le papier que le shérif lui tendait.
« Belle propriété que vous avez là, fit observer le shérif.
— Elle me complique bien la vie, laissa échapper Knight.
— Je m’en doute.
— Plus qu’elle n’en vaut la peine. »
Après le départ du shérif, il ouvrit le pli et lut, sans aucune surprise, que la Compagnie Brikol avait porté plainte contre lui. Elle réclamait la restitution immédiate d’un robot répondant au nom d’Albert, et de divers autres robots.
Il mit la lettre dans sa poche et s’en fut autour du lac le long des allées neuves pavées de briques ; il traversa les ponts, inutiles certes, mais enchanteurs pour la vue, dépassa la pagode et grimpa jusqu’en haut du coteau en terrasse pour enfin se trouver devant la maison d’Anson Lee.
Lee était à la cuisine et se préparait des œufs au bacon. Il cassa deux œufs de plus, rajouta quelques tranches de lard après en avoir ôté la couenne ; puis il sortit une seconde assiette et une seconde tasse.
« J’étais en train de me demander au bout de combien de temps je recevrais ta visite, dit-il. J’espère qu’on n’a encore rien relevé contre toi qui mérite la peine de mort. »
Knight lui raconta tout, n’épargnant aucun détail. Lee s’essuya la bouche où avait coulé un peu de jaune d’œuf, et prit un air qui n’avait rien d’encourageant.
« Tu vas remplir ta déclaration de revenus, même si tu ne peux pas payer, dit-il. Après quoi, en termes techniques, tu n’auras pas violé la loi, et tout ce que le fisc pourra faire, c’est d’essayer de toucher l’argent que tu lui dois. On fera probablement saisie sur ton avoir. Ton salaire n’est pas légalement assez élevé pour qu’on puisse le saisir, mais on peut bloquer ton compte en banque.
— Mon compte est vide, dit Knight.
— On ne peut pas saisir ta maison. On ne peut pas, pour le moment du moins, toucher à tes biens immobiliers ; aussi ne risques-tu pas grand-chose dans l’immédiat. Quant à l’impôt mobilier, c’est une autre affaire, mais on ne te réclamera rien avant le printemps prochain. À mon avis, le plus ennuyeux, c’est le procès intenté par Brikol, à moins que tu ne désires un règlement à l’amiable, évidemment. J’ai bien l’impression qu’ils retireront leur plainte si tu leur rends les robots. En ma qualité d’avocat, je dois te dire que ton cas n’est pas très facile à défendre.
— Albert témoignera que c’est moi qui l’ai fabriqué, intervint Knight d’un ton optimiste.
— Albert ne peut pas témoigner, dit Lee. Le témoignage d’un robot n’est pas recevable par le tribunal. Et, de toute façon, tu ne pourras jamais faire croire à la Cour que tu as construit toi-même une hérésie mécanique comme Albert.
— Je suis excellent bricoleur, protesta Knight.
— Jusqu’où vont tes connaissances en électronique ? Quelle est ta compétence en biologie ? Expose-moi, en moins de douze phrases, la théorie de la robotique. »
Knight s’avoua vaincu. « Je crois que tu as raison.
— Ne ferais-tu pas mieux de les rendre ?
— Mais c’est impossible ! Essaie de comprendre ! Ce n’est pas pour s’en servir que la Compagnie Brikol réclame Albert. Ils vont le faire fondre, brûler les plans, et il se passera peut-être mille ans avant qu’on en retrouve le principe, si jamais on y parvient. J’ignore si, en fin de compte, la création d’Albert se révélera bienfaisante ou néfaste, mais on peut en dire autant de n’importe quelle invention. Et je suis opposé à la destruction d’Albert.
— Je comprends ta façon de voir, dit Lee, et elle me plairait plutôt. Mais je dois te prévenir que je ne suis pas un très bon avocat. Je ne suis pas assez travailleur pour cela.
— le ne connais personne d’autre que toi qui accepterait de me défendre sans que je verse de provisions. »
Lee eut pour Knight un regard plein de pitié. « Ce n’est pas là le plus important. Ce qui chiffre le plus, ce sont les frais de justice.
— Et si je parlais à Albert et que je lui explique la situation, peut-être me laisserait-il vendre assez de robots pour me tirer d’affaire provisoirement ? »
Lee secoua la tête. « Je me suis renseigné. Il te faudrait un permis pour les vendre et, avant d’obtenir un permis, il faut fournir la preuve qu’on est propriétaire de ce que l’on désire vendre. Tu seras donc obligé de prouver que tu les as achetés ou que tu les as fabriqués. Tu ne peux pas prouver que tu les as achetés ; en ce qui concerne la fabrication, il te faudrait une licence de fabricant. Et pour obtenir cette licence, il faut déposer les plans des prototypes, sans parler des plans et des caractéristiques de votre usine, un registre de la main-d’œuvre ainsi que de nombreux autres renseignements.
— Alors, ils me tiennent ?
— Jamais dans toute ma carrière, déclara Lee, je n’ai vu personne réussir à se mettre à dos un aussi grand nombre de gens. »
Quelqu’un frappa à la porte de la cuisine.
« Entrez », cria Lee.
La porte s’ouvrit et Albert apparut. Il s’arrêta en se trémoussant dans l’encadrement de la porte.
« Abner m’a dit qu’il avait vu le shérif vous remettre quelque chose, dit-il à Knight, et qu’immédiatement après vous étiez venu ici. J’ai commencé à m’inquiéter. Ça venait de Brikol, n’est-ce pas ? »
Knight acquiesça.
« Mr. Lee va nous représenter, Albert.
— Je ferai de mon mieux, dit Lee, mais je pense que c’est pratiquement sans espoir.
— Nous, les robots, nous voulons vous aider, dit Albert. Après tout, c’est notre cause tout autant que la vôtre. »
Lee haussa les épaules. « Vous ne pouvez pas faire grand-chose, dit-il.
— J’ai réfléchi, dit Albert. Pendant que je travaillais, la nuit dernière, j’y ai pensé et repensé. Et j’ai construit un robot avocat.
— Un robot avocat !
— Un robot doué d’une mémoire infiniment plus vaste que les autres, et avec un ordinateur cérébral conçu pour la logique. C’est bien cela, la loi, c’est de la logique, n’est-ce pas ?
— Oui, en quelque sorte, répondit Lee, du moins en principe.
— Je peux en fabriquer des quantités. »
Lee soupira. « Cela ne servirait à rien. Pour être avocat, il faut être admis au barreau. Pour être admis au barreau, il faut être licencié en droit et avoir réussi à un examen et, bien que l’occasion de créer un précédent ne se soit jamais présentée, j’imagine que le candidat doit être un être humain.
— Attention, n’allons pas trop vite, dit Knight. Les robots d’Albert ne pourraient pas plaider. Mais ne pourrait-on les utiliser en tant que secrétaires ou en tant qu’adjoints ? Ils pourraient être d’un grand secours dans la préparation du dossier. »
Lee se mit à réfléchir. « Je pense que c’est à envisager. Cela n’a encore jamais été fait, naturellement, mais il n’y a rien dans la législation qui l’interdise expressément.
— Tout ce qu’il leur faudrait faire, c’est lire les manuels, dit Albert. Dix secondes environ par page. Tout ce qu’ils liront sera emmagasiné dans leurs mémoires.
— Quelle bonne idée ! s’exclama Knight. Ces robots seraient spécialisés en droit. Ce serait la raison même de leur existence. Ils n’en ignoreraient pas la moindre finesse…
— Mais pourraient-ils s’en servir ? demanda Lee. Pourraient-ils appliquer leurs connaissances à un problème déterminé ?
— Fabrique une douzaine de robots, dit Knight. Que chacun d’eux se spécialise dans une branche juridique déterminée.
— Je ferai des robots télépathiques, dit Albert. Ils travailleront en coordination comme s’ils n’en formaient qu’un seul.
— Le principe du Gestalt ! s’écria Knight. La psychologie de la ruche. Chacun recevrait en même temps que tous les autres chaque nouvelle bribe d’information. »
Lee se frotta le menton de son poing fermé ; une lueur s’alluma bientôt dans ses yeux. « Cela peut valoir la peine S’essayer. Mais, si ça marche, ce sera un jour néfaste pour la jurisprudence. » Il regarda Albert. « Quant aux livres, j’en ai des piles. J’ai dépensé une fortune pour me les procurer et je ne m’en sers pratiquement jamais. Je peux trouver ceux qui vous manqueraient. Alors, au travail ! »
Albert fabriqua trois douzaines de robots avocats pour être certain d’en avoir assez.
Les robots envahirent le bureau de Lee, lurent tous les livres qu’il possédait et en réclamèrent d’autres, ils ingurgitèrent des textes sur les contrats, les actes dommageables, les témoignages et les procès. Ils absorbèrent la législation sur les biens mobiliers et les biens immobiliers, le droit constitutionnel et la procédure. Ils engloutirent Blackstone, le Corpus juris et bien d’autres manuels épais et couverts de poussière.
Grâce avait très mal pris l’affaire dès le début. Elle n’était pas disposée, déclarait-elle, à vivre aux côtés d’un homme dont le nom s’étalait dans tous les journaux. C’était, au reste, une affirmation sans grand fondement. Avec le dernier scandale des cafés-relais spatiaux qui passionnait l’opinion publique, l’accusation portée par Brikol contre un certain Gordon Knight qui aurait chapardé un robot passa presque inaperçue.
Lee descendit de sa colline pour la raisonner et Albert émergea du sous-sol pour lui parler ; ils réussirent enfin à la calmer et elle retourna à sa peinture. Elle faisait des marines maintenant.
Dans le bureau de Lee, les robots étaient toujours au travail.
« J’espère qu’ils en tirent quelque chose, dit Lee. Rendez-vous compte : ne pas être obligé de rechercher les références et les citations ! Pouvoir se rappeler chaque détail de la loi et toute la jurisprudence sans avoir à consulter un seul ouvrage ! »
Il imprima à son hamac un vif balancement tant cette pensée l’agitait. « Bon Dieu ! Quelles plaidoiries on pourrait rédiger ! »
Il étendit le bras, saisit la cruche et la passa à Knight. « C’est du vin de pissenlit. Avec un peu de bardane aussi, sans doute. C’est trop compliqué à trier après l’avoir cueilli. »
Knight eut un reniflement de dégoût.
Le goût de bardane était effectivement assez prononcé.
« C’est une double économie ! expliqua Lee. Si on n’arrache pas les pissenlits, ils esquintent la pelouse. Autant les utiliser si on les arrache. »
Il en prit une nouvelle gorgée dont il se gargarisa, puis remit la cruche sous le hamac. « Ils y sont toujours ; ils se consultent, dit-il en pointant nerveusement le doigt en direction de la maison. Ils sont tous entassés là, à discuter sans prononcer le moindre mot. J’ai eu l’impression d’être de trop… » Le sourcil froncé, il dirigea son regard vers le ciel. « Comme si moi, pauvre humain, je n’étais qu’un simple spectateur.
— Je me sentirai mieux quand tout sera terminé, et quel que soit le résultat, dit Knight.
— Moi aussi », reconnut Lee.
*
**
Le procès s’ouvrit, sans qu’on y prêtât grande attention. Ce n’était qu’un procès de plus à l’ordre du jour.
Mais il eut droit aux manchettes des journaux lorsque Lee et Knight firent leur entrée devant la Cour, suivis d’une escouade de robots.
Un brouhaha se fit entendre dans l’assistance. Les avocats de la Compagnie Brikol restèrent un instant bouche bée, puis bondirent sur leurs pieds. Le juge frappa violemment la table de son marteau d’ivoire.
« Maître, hurla-t-il, qu’est-ce que tout cela signifie ?
— Votre Honneur, répondit calmement Lee, ce sont mes précieux adjoints.
— Mais ce sont des robots !
— C’est exact, Votre Honneur.
— Ils n’occupent aucune fonction officielle dans cette Cour.
— Je prie Votre Honneur de m’excuser, mais ce n’est pas nécessaire. Je suis le seul représentant du défendeur dans cette affaire. Mon client… », et Lee porta ses regards sur le déploiement impressionnant de talents juridiques représentant Brikol, « mon client n’est pas un homme riche, Votre Honneur. Je suis sûr que la Cour ne pourra pas me refuser la seule assistance qu’il m’a été possible de m’assurer.
— Cela me paraît fort irrégulier, Maître.
— Avec la permission de Votre Honneur, j’aimerais faire remarquer que nous vivons à l’époque de la mécanisation. La majorité des sociétés industrielles et des affaires commerciales utilisent des ordinateurs de façon courante ; ce sont des machines capables de venir à bout d’une tâche avec une rapidité, une précision et une efficacité supérieures à celles d’un être humain. C’est pourquoi, Votre Honneur, nous bénéficions aujourd’hui de la semaine de quinze heures alors qu’il y a cent ans à peine, on travaillait trente heures par semaine et, un siècle plus tôt, jusqu’à quarante heures. L’ensemble de notre système social repose sur la faculté qu’ont les machines d’épargner aux hommes des travaux qu’ils étaient réduits à accomplir eux-mêmes par le passé.
« Cette tendance à faire confiance aux machines intelligentes et à les utiliser largement paraît évidente dans tous les champs de l’activité humaine. Elle a apporté d’immenses avantages à la race des hommes. Même dans des secteurs aussi délicats que la pharmacie où les ordonnances doivent être exécutées sans la moindre marge d’erreur, on fait confiance à la précision de la machine, et l’on a raison, Votre Honneur.
« Votre Honneur, si on accepte l’intervention de ces machines jusque dans la préparation des drogues et des remèdes, dans cette industrie pharmaceutique dont – personne ne me contredira – le plus grand atout réside dans la confiance que le public met en elle, dès lors, vous ne pouvez pas en refuser l’utilisation devant un tribunal chargé de rendre la justice, denrée de toute évidence aussi délicate à administrer qu’une médication.
— Un moment, Maître, dit le juge. Essayez-vous de me démontrer que l’emploi de – hum ! – machines pourrait apporter des améliorations à la loi ?
— La loi, Votre Honneur, répliqua Lee, est l’expression d’un effort de réglementation des rapports entre les individus qui composent la société. Elle repose sur la logique et la raison. Est-il besoin de vous faire remarquer que ce sont précisément des machines douées d’intelligence qui, mieux que quiconque, se trouvent susceptibles d’évaluer la logique et la raison ? Une machine n’est pas, comme un être humain, l’esclave de ses sentiments ; elle n’est pas victime de préjugés ; elle n’a pas d’idées préconçues. Elle n’apprécie que la progression méthodique des faits et des lois.
« Je ne demande pas que ces robots qui m’assistent aient ici des fonctions officielles. Je n’ai pas l’intention de les laisser intervenir directement dans aucun des débats qui s’engageront au cours de ce procès. Mais je demande instamment, et je crois, à juste titre, à ne pas être privé de l’aide qu’ils pourront m’apporter. Le plaignant dans cette affaire est représenté par une vingtaine d’avocats, tous hommes de grand talent. Je suis seul contre ce grand nombre. Je ferai de mon mieux. Mais, en raison de la disparité des moyens, je demande à la Cour de ne pas accroître cette inégalité. »
Lee s’assit.
« Est-ce là tout ce que vous avez à dire, Maître ? demanda le juge. Etes-vous certain d’avoir bien terminé, avant que je prenne ma décision ?
— Une seule chose encore, reprit Lee. Si Votre Honneur peut m’indiquer un seul texte de loi interdisant l’utilisation d’un robot…
— C’est ridicule, Maître ! La loi n’a pas prévu un cas semblable, naturellement. Personne, en aucun pays, n’a seulement jamais rêvé qu’une telle éventualité puisse un jour se produire. Il est donc évident qu’il n’y avait aucune raison pour qu’une telle clause fut stipulée dans un texte de loi…
–… Ou bien, trouve-t-on dans la jurisprudence une interprétation des textes qui puisse être invoquée dans ce sens ? » poursuivit Lee.
Le juge saisit son marteau et en donna un coup sec sur la table. « La Cour se trouve dans une impasse. La décision sera rendue demain matin. »
Le lendemain matin, les avocats de Brikol entreprirent d’éclairer le juge. Dans la mesure, dirent-ils, ou les robots en question faisaient nécessairement partie de ceux dont la situation était en litige, il paraissait anormal qu’ils soient utilisés par le défendeur au cours du procès. Une telle procédure, firent-ils remarquer, équivaudrait à contraindre le demandeur à participer à une action allant à rencontre de ses propres intérêts.
Le juge approuva gravement de la tête, mais Lee intervint sur-le-champ.
« Pour que cet argument ait une valeur quelconque, Votre Honneur, il faudrait d’abord démontrer que ces robots sont effectivement la propriété du demandeur. C’est exactement le fond du litige. Il me semble, Votre Honneur, que ces messieurs mettent la charrue avant les bœufs. »
Son Honneur fit entendre un soupir. « La Cour regrette la décision qu’elle doit prendre, car elle n’ignore pas qu’elle ouvre la voie à une controverse qui ne sera pas résolue équitablement avant de longues, longues années. Mais en l’absence de dispositions proscrivant l’utilisation de… hum !… robots dans les carrières juridiques, la Cour est dans l’obligation de déclarer qu’il est loisible à la défense d’avoir recours à leurs services. »
Il arrêta sur Lee un regard chargé de menaces : « Mais la Cour avertit également l’avocat de la défense qu’elle surveillera sa procédure avec la plus grande attention. Maître, si vous outrepassez un seul instant les limites que j’estime convenables dans les circonstances présentes, je me verrai contraint de vous expulser ainsi que votre troupe de machines.
— Merci, Votre Honneur, reprit Lee. Je me montrerai extrêmement prudent.
— La parole est maintenant au demandeur. »
Le premier avocat de Brikol se leva.
« Le défendeur, un certain Gordon Knight, dit-il, avait commandé à la Compagnie Brikol un coffret renfermant un chien mécanobiologique du prix de 250 dollars. Par suite d’une erreur du service des expéditions, la Compagnie n’a pas envoyé au défendeur le chien qu’il avait commandé, mais un robot du nom d’Albert.
— Votre Honneur, coupa Lee, je tiens à souligner, à cette occasion, que l’expédition du coffret a été effectuée par un être humain, ce qui explique qu’une erreur ait été possible. Si la Brikol s’en était remise à des machines pour régler ces détails, une telle erreur ne se serait jamais produite. »
Le juge frappa la table de son marteau.
« Maître, vous n’ignorez pas la procédure du Palais. Vous devez vous rendre compte que votre intervention est hors de propos. »
Il fit signe de la tête au conseil de la Compagnie Brikol. « Veuillez poursuivre », dit-il.
« Le robot Albert, dit l’avocat, n’était pas un robot ordinaire. C’était un modèle expérimental mis au point par la Compagnie Brikol puis, une fois ses possibilités déterminées, mis de côté, sans qu’il ait jamais été question de le vendre. Comment il avait pu être expédié à un client, voilà qui dépassait son entendement. La Compagnie avait fait une enquête sans que ce point pût être éclairci. Mais il était hors de doute que cette expédition avait bien eu lieu. »
Le robot ordinaire, expliqua-t-il, se vendait 10 000 dollars. La valeur d’Albert était considérablement plus élevée. Elle était, en fait, inestimable…
Après avoir reçu le robot, l’acheteur, Mr. Gordon Knight, aurait dû en informer immédiatement la Compagnie et prendre les dispositions nécessaires pour le renvoyer à l’expéditeur. Mais, au lieu de cela, il l’avait indûment conservé et utilisé à son profit.
La Compagnie demandait à la Cour d’ordonner au défendeur la restitution, non seulement du robot Albert, mais des produits de son labeur, à savoir du nombre indéterminé de robots qu’Albert avait fabriqués. L’avocat s’assit.